Troisième rendez-vous virtuel de la démarche participative « Jeunesses : droit au bonheur », le webinaire « Un portable sinon rien ? Les pratiques culturelles des jeunes à l’ère numérique » s’est tenu le 4 avril 2024. Le sociologue Aurélien Djakouane, spécialiste des questions culturelles, est venu présenter ses dernières recherches aux participant.es. Retour sur ce nouveau temps de réflexion collective en vue du congrès 2024 de la Fédération Léo Lagrange.
« Le téléphone est capable du pire comme du meilleur » déclare Corinne Bord, vice-présidente de la Fédération Léo Lagrange, en introduction de ce nouveau webinaire « Jeunesses : droit au bonheur ». On sait l’importance du numérique dans notre quotidien, pour les jeunes générations notamment, quand 94% des 15-29 ans ont un portable. Multiplication des liens, des connexions, des sources d’information… mais également avènement des fausses nouvelles et cyber harcèlement sont autant d’effets imputés aux réseaux sociaux et aux téléphones portables. Face à ce qu’il surnomme le « terminal à tout faire » ou « couteau suisse », le sociologue Aurélien Djakouane adopte une posture plus compréhensive qu’alarmiste dans ses recherches. En 2023, il faisait paraître dans la revue L’Observatoire l’article « Un portable sinon rien ? Les pratiques culturelles des jeunes à l’ère numérique. »
« Aurélien Djakouane vient répondre à nos interrogations, nos inquiétudes. L’une des ambitions de ce temps d’échange est de ne pas en sortir neutre et de pouvoir nourrir collectivement la construction de notre texte de congrès » explique Corinne Bord avant de laisser la parole au sociologue pour une carte blanche des plus enrichissantes !
La famille et l’école : deux espaces de socialisation culturelle transformés
Si l’on parle de révolution numérique, l’avènement du téléphone portable et des pratiques numériques n’est pas seul responsable des mutations des pratiques culturelles des jeunes. Aurélien Djakouane souligne en effet un effondrement progressif de la famille et de l’école en tant que principaux prescripteurs des pratiques culturelles. Avec l’allongement du temps d’études concernant toutes les classes sociales, les rapports parents-enfants visant davantage l’indépendance que l’obéissance, la fin du XXème siècle est synonyme de nouveaux espaces de temps libre, et de nouveaux modes de consommation (culturelle entre autres). Le développement du numérique et l’arrivée de nouveaux moyens de communication invitent les jeunes à individualiser leurs pratiques culturelles : avec leurs radios ou magazines, ils ne dépendent plus de la sphère familiale ou des programmes scolaires.
Avec le téléphone portable, les enfants deviennent autonomes dans leurs relations extérieures : les parents en perdent le contrôle alors même que l’âge moyen du premier portable correspond à l’entrée en 6ème. Aurélien Djakouane appuie notamment sur l’ambivalence de la relation parents-enfants : le portable est une « porte d’accès à la mobilité autonome », mais « permet également de maintenir l’enfant dans la sphère domestique et familiale », bien qu’aujourd’hui, « le portable ne serve plus à appeler et rassurer ses parents. »
L’importance décisive des groupes de pairs dans la socialisation culturelle du jeune
Les camarades et amis ont toujours été des moteurs dans la consommation culturelle, seulement le téléphone portable permet une connexion permanente à l’autre, aujourd’hui renforcée par la forte consommation des réseaux sociaux. 80% des moins de 25 ans ont un compte sur un réseau social. Celui-ci permet de construire sa propre image, mais également d’accéder à des contenus « multiculturels » jusqu’alors très éloignés des pratiques culturelles familiales ou scolaires. Aurélien Djakouane relève par ailleurs que les objets culturels d’aujourd’hui sont également des objets de consommation : « Il faut un portable pour être comme les autres et pas seulement avec les autres. Il y a un phénomène d’affiliation, qui a toujours existé chez les jeunes générations : on se construit une identité à travers l’expression de ses goûts, cela passe aujourd’hui aussi par le ‘’style’’. On voit une intention exacerbée des jeunes à être comme les autres. »
Quelle posture éducative adopter ?
L’espace et le temps occupés par le téléphone portable préoccupent les éducateur.rices, parents comme professionnel.les : comment faire avec ? Aujourd’hui encore, 30% des Français.es n’utilisent pas internet tous les jours, Aurélien Djakouane tient à relativiser la focalisation sur les effets néfastes du numérique : « En termes d’éducation on a un véritable boulevard : tout le monde a un téléphone portable dans la poche mais personne n’a jamais appris à s’en servir. […] Il y a un travail d’éducation aux technologies, au numérique qui, s’il ne peut pas être fait par les familles, peut être fait par des médiateurs ou éducateurs, et les enfants en sont très demandeurs en réalité ! »
Comme chaque webinaire Jeunesses : droit au bonheur, ce temps d’échange virtuel a soulevé de nombreuses questions et réactions dans l’audience, comme celle d’Yves Blein, président de la Fédération Léo Lagrange, qui commente : « Cela bat en brèche les idées reçues sur les portables ! La construction des liens sociaux par l’intermédiaire du portable, je ne m’en rendais pas tant compte. Je trouve cela rassurant car c’est une façon de faire société : il faut l’exploiter et le prendre en compte. » Voilà tout l’objectif de ces webinaires : nourrir nos réflexions individuelles comme collectives en vue du prochain congrès de la Fédération Léo Lagrange, prévu en septembre 2024.
L’intégralité de ce webinaire « Un portable sinon rien ? Les pratiques culturelles des jeunes à l’ère numérique » est disponible en replay, à (re)découvrir ici : https://www.ledroitaubonheur.fr/replay-webinaire-un-portable-sinon-rien-les-pratiques-numeriques-des-jeunes-en-question-avec-aurelien-djakouane-4-04-24/